Les parades du tétras lyre
Il fait froid, encore nuit. Qu'est-ce que je fais là, dans mon petit affût de toile, perdu dans la montagne? Il y a juste une demi-heure, j'étais bien au chaud dans mon duvet. J'attends, sans bouger malgré les -5°, à l'écoute du moindre bruit. L'observation des animaux, c'est souvent ça. On reste dans un coin sans bouger, on se fond avec le décor et on attend.
Peu à peu, l'horizon s'éclaircit à l'est. Il fait encore nuit, mais les oiseaux se réveillent. Au loin, j'entends un courlis. Plus près, le chevrotement d'une bécassine des marais qui fait de la voltige aérienne. Et la croule d'une bécasse qui passe au-dessus.
Soudain, j'entends le cri que j'attendais. Ca y est, IL est là ! Dans les premières lueurs de l'aube, j'aperçois un tétras lyre à quelques dizaines de mètres. C'est le début de deux heures de folie...
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Pourtant, ce n'est pas la première fois que je repère cet oiseau. Parfois, on ne le voit pas, mais on l'entend. Vous êtes en montagne au petit matin. Pas un bruit. Soudain, un roucoulement au loin. Vous vous dîtes "IL est là". Ca vous suffit, vous êtes content pour la journée, la Montagne est toujours la Montagne.
Mais aujourd'hui, je suis à proximité d'une place de parade, où les mâles se retrouvent au printemps. Et c'est un spectacle étonnant et magnifique.
Il y a maintenant 3 mâles que j'aperçois à travers le brouillard de fin de nuit. Ils se défient dans la gelée blanche, s'invectivent. J'en prends plein les mirettes. Après une vingtaine de minutes, il y a juste assez de lumière pour faire des photos :
Ils sont magnifiques. Ils font la roue, dressent leur queue en forme de lyre, mettant en évidence leur croupion blanc. Ils écartent leurs ailes, pour paraître plus impressionnants :
Ils jouent une sorte de danse, tournant sur eux-mêmes. Tantôt ils roucoulent la tête penchée en avant comme un pigeon géant. Tantôt ils sautent sur place en poussant un cri caractéristique :
Parfois ils se font face, essayant de s'impressionner par leur posture et leurs cris :
La lumière change rapidement. D'aube bleutée, elle passe aux couleurs plus chaudes du lever de soleil. Les premiers rayons éclairent le versant lointain, puis gagnent la place de parade :
Pour les tétras lyre, le lever du soleil sonne la fin de la représentation. D'un seul coup, les parades s'arrêtent, les mâles reprennent une posture normale, ils arrêtent de faire la roue. Ils retournent alors vers leurs clairières pour se nourrir et se reposer. Ils repartent comme ils sont arrivés, en volant.
Deux heures de magie prennent fin. Il faut se réveiller, reprendre pied dans le monde réel.
Pendant plus d'un mois, ils vont venir tous les matins pour tenir la place de chant. Quand les femelles sont prêtes, elles viennent se faire féconder. C'est alors le paroxysme des combats : les mâles se volent dans les plumes donnant des coups de bec et de griffe. Je n'ai pas pu faire de photo de ces combats en vol, il n'y avait pas assez de lumière...
Un grand merci au copain qui m'a emmené à cet endroit, il se reconnaîtra... Nous y avons fait 4 affûts.
Le tétras lyre ou "petit coq de bruyère" :
C'est un oiseau emblématique des Alpes, localisé, discret et plutôt difficile à observer. Dans les Alpes françaises, c'est le plus gros de nos oiseaux, après les aigles et les vautours.
La femelle est plus petite, de couleur marron camouflage pour échapper aux prédateurs quand elle couve ou qu'elle élève les jeunes.
Ils vivent dans les clairières ou les zones peu boisées avec un couvert végétal où ils peuvent s'alimenter (rhododendrons, myrtilles, bruyère...). Ils sont surtout végétariens (feuilles, bourgeons, graines, fleurs et baies) avec quelques insectes à la bonne saison.
L'hiver, ils préfèrent les versants nord avec de la neige poudreuse. En effet, pour se protéger du froid, ils passent la nuit et une partie de la journée dans de petits igloos qu'ils creusent. La température y est beaucoup plus clémente (4° en moyenne) qu'à l'extérieur.
On les trouve surtout dans les forêts des pays froids : de la Scandinavie à la Russie et au nord de la Chine. Plus au sud, avec le réchauffement post glaciation, ils se sont réfugiés en montagne (Alpes, Ecosse...).
Ils sont en déclin sauf en Suède et Norvège. Les causes sont multiples : déboisement intégral, pâturage trop intensif qui détruit la végétation basse, chasse, dérangements par les randonneurs l'hiver, chiens l'été. Et sans doute le réchauffement climatique.
En France, on instaure parfois des zones de quiétude, interdites aux randonneurs. Des bergers peuvent avoir des contrats pour que les zones de reproduction de tétras ne soient broutées qu'après le 15 août (protection pendant la reproduction).
Longue vie au tétras lyre, cet oiseau emblématique étonnant, qui passe l'hiver dans un igloo et qui danse tous les matins au printemps.